jeudi 21 février 2013

Le combat de Mr. Idogawa, maire de Futaba

Katsutaka Idogawa est le maire de la petite ville de Futaba, comptant environ 6500 habitants, située à 3 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
Suite à l'accident nucléaire du 11 Mars 2011, la ville se trouvera fortement contaminée le 12 Mars avec un niveau de radioactivité plusieurs centaines de fois supérieur à la normale, avant même l'explosion du réacteur 1 qui exposera la population et les services d'urgence travaillant à l'évacuation des habitants à des retombées radioactives notables.

Mr. Idogawa est le seul maire des zones sinistrées à avoir décidé dès les premiers instants et de son propre chef d'évacuer la totalité des résidents en dehors de la préfecture de Fukushima. Une partie trouvera refuge dans un lycée désaffecté de la ville de Kazo, préfecture de Saitama, à 250 km de là dans la banlieue nord de Tokyo, où seront installé des services administratifs et une mairie provisoires. De fait, Futaba comptera et compte encore aujourd'hui parmi les zones les plus contaminées, et la totalité du district se trouvera inclus dans la zone d'évacuation obligatoire des 20 km.


A l'origine favorable au nucléaire, et confiant dans les belles paroles des institutions pro-nucléaires et de l'exploitant TEPCO, on doit au maire l'ajout des réacteurs 5 et 6 à la centrale de Fukushima, de ce fait situés sur le territoire de sa commune. Alors que depuis les années 60, ont vantait les mérites, la modernité et la prospérité qu'apporterait l'implantation de la centrale, après l'accident il prendra vite la mesure des mensonges et de la sinistre réalité qui se cache derrière cette façade, comme celle de sa mairie financée par la centrale nucléaire, dont il dit lui-même qu'elle est "bien trop grande et bien trop belle pour une petite ville comme la sienne".

Rapidement, Mr. Idogawa s'oppose aux autorités gouvernementales à propos de l'augmentation de la dose d'exposition maximale tolérable à la radioactivité, qui est passée de 1 à 20 mSv/an. Il entre aussi en conflit avec le gouvernement local et son propre conseil municipal, qui voudraient construire une décharge temporaire pour le stockage de déchets contaminés et radioactifs sur le territoire de la commune. Il ne se présentera donc pas aux négociations avec le gouvernement central en vue de ce projet qui débutent en Janvier 2012. Le maire estime que ce projet interdirait définitivement le retour des habitants, alors que son objectif est qu'a terme, une fois la centrale de Fukushima demantelée et la région décontaminée, les habitants puissent retrouver leurs racines et leur terre natale.

Janick Magne a rencontré le maire de Futaba le 12 Février 2012, dans le Lycée - refuge Kiza. Je vous invite à suivre ce lien pour lire sur son blog le récit de cette entrevue, et le témoignage de Mr Idogawa : Fukushima, l'enfer d'un accident nucléaire « Parlez de nous, dites ce qui se passe. Dites le scandale des villes et des gens sacrifiés au nom du nucléaire ! Dites aussi au monde entier qu’il faut préserver notre environnement. Il faut cesser de diluer les produits radioactifs en les dispersant dans la nature, comme le fait le                                                  gouvernement japonais !»



(3'20", Jp st En + Fr) - Télécharger la vidéo (23 Mo)

Ne pouvant se rendre à une invitation au festival du film de Berlin en Février 2012 pour la projection du film "Nation Nucléaire" sur les réfugiés de Futaba, Mr. Idogawa rédigera ce message vidéo de remerciements et de mise en garde.


(3'09", Jp st En + Fr) - Télécharger la vidéo (21 Mo)

Voici par ailleurs la bande annonce de ce film, "Nation Nucléaire", (Nuclear Nation), un documentaire d'Atsushi Funahashi, qui raconte l'histoire des réfugiés nucléaires de Futaba et leur exode. A travers leurs angoisses et frustrations, le film pose la question du coût réel du capitalisme et de l'énergie nucléaire.

Le 25 Avril, Mr Idogawa témoigne de la situation réelle de Fukushima devant le Comité Constitutionnel de la Chambre des Conseillers (parlement).
  • Des habitants de Futaba ont essayé de passer des tests d'exposition radioactive dans plusieurs hôpitaux, mais en ont été empêché par l'Université de Médecine de Fukushima.
  • Malgré qu'il soit lui-même victime de perte de pilosité et saignements de nez quotidiens, il s'est vu refuser un test sanguin dans un hôpital de Tokyo.
  • Les données du système SPEEDI ont été communiquées aux États-Unis, mais pas à la population directement concernée. En Avril 2012, la ville de Futaba ne disposait toujours pas de ces données.
  • La ville n'a pas non plus été avertie des opérations de dépressurisation (venting) pratiquées pour faire tomber la pression dans les réacteurs en perdition, qui ont libéré de grandes quantités de radioactivité dans l'atmosphère.



(13'08", Jp st Fr) - Télécharger la vidéo (192 Mo)

Il a également pris la parole lors d'une réunion d'information au siège de l'ONU à Genève le 30 octobre 2012 et a supplié les autorités internationales d'aider à l'évacuation des résidents de Fukushima, y compris 300.000 enfants qui vivent encore dansles zones fortement contaminées. Il révèlera lors de cette visite à l'étranger avoir un kyste à la thyroïde, faute de pouvoir le faire dans son propre pays.

Le 20 Décembre 2012, l'assemblée municipale de Futaba fait passer une motion de défiance à l'encontre du maire, l'accusant de "causer la confusion parmi les habitants", étant donné que la politique gouvernementale consiste à décontaminer les zones impactées, et non évacuer les habitants. Le 26 Décembre, Katsutaka Idogawa annonce la dissolution de l'assemblée municipale. Le 20 Janvier, le maire, qui se trouvait dans un hôtel de Koriyama pour assister à une réunion avec les habitants, est hospitalisé d'urgence, se sentant la tête lourde et étant victime d'étourdissements. Il pouvait toutefois marcher seul.

Le 23 Janvier, Katsutaka Idogawa annonce sa démission du poste de maire de Futaba, et laisse un message public (télécharger la trad. Fr) sur le site web de la mairie.



(8'42", Jp st En + Fr) - Télécharger la vidéo (59 Mo)

Il donnera par la suite une interview à OurPlanet-TV, où il répond à quelques questions et explique les raisons de sa décision.

Télécharger la Transcription en français
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Quelques considérations personnelles pour finir.
Concernant le refus de Mr. Idogawa de voir des entreposages "provisoires" de déchets et débris radioactifs dans sa commune, il me semble que le sujet est délicat, et pas forcément simple à trancher.

D'un côté, on peut considérer que "foutu pour foutu" au niveau contamination et  radioactivité, pour une période probablement longue, les zones fortement contaminées aux environs immédiats de la centrale sont de bons endroits pour stocker des matières radioactives. Ça restera probablement longtemps des zones contrôlées d'accès restreint, y amasser encore plus de radioactivité éviterait de la disperser dans tout le pays, ainsi que les transports résultants, jamais exempts de dangers.

Je pense qu'il faut voir les choses en face : la décontamination est un leurre, une illusion.

Que ce soit au Japon, en Russie ou ailleurs, les exemples ne manquent pas de travaux de décontamination qui ont été peine et argent perdus (sauf évidemment pour ceux qui se sont remplis les poches au passage, et ceux qui y ont laissé leur santé ou leur vie !) En Russie, on s'aperçoit même que dans certains cas, la baisse des niveaux de radioactivité est inférieure à ce que la décroissance naturelle aurait dû causer.
Au Japon, la centrale de Fukushima Daiichi continue, chaque jour, et pour encore bien longtemps, de polluer l'océan, l'atmosphère et les terres, pour ce qu'on en sait. Car pour les corium, les cœurs fondus de 3 réacteurs, c'est toujours publiquement le silence et l'ignorance complète, 2 ans après ! Et les valeurs de contamination des nappes phréatiques et cours d'eau, où sont-elles ?

Faire disparaître la radioactivité est impossible. Du moment que l'on extrait le minerai d'uranium du sol, il est déjà trop tard, l'engrenage infernal et irréversible est lancé. On ne peut que déplacer la contamination, soit par négligence à toutes les étapes où elle peut avoir lieu, et il n'en manque pas ! Soit exprès, en la transportant d'un point A à un point B, en prétendant la "contrôler".
Faux, d'une manière ou d'une autre, on ne fait que décontaminer un endroit pour en contaminer un autre, masquer le problème pour un temps, le transmettre à nos enfants et aux générations futures.

D'un autre côté, je ne suis pas certain qu'une majorité de personnes, hors contexte en France et ailleurs, puisse comprendre et ressentir l'attachement des gens à leur terre, leur région ou ville natale, leurs racines, leur histoire et traditions, telles qu'on les sent transparaître dans tant de récits et de drames après Fukushima. Je pense que cet attachement est éminemment respectable, mais j'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre la force de cette volonté du maire de voir un jour les gens de Futaba revenir chez eux, à portée de fusil du lieu du pire accident nucléaire à ce jour..
Peut-être parce que voilà plus de quarante ans que j'ai perdu mes racines et mon "chez-moi" (pour de toutes autres raisons), et que je sais que je n'y retournerai jamais, bien qu'ayant toujours résidé dans mon pays natal la France.

Quoi qu'il en soit, bien que forcément distant de cette histoire et de ses détails, je pense que Mr. Idogawa mérite qu'on lui tire notre chapeau, et qu'on lui adresse de chaleureux remerciements et encouragements.

Comme vient de me le dire une lectrice, "Voilà un homme qui a agi selon sa conscience, ça devient rare aujourd'hui". J'ajoute : voilà un homme courageux, droit et loyal envers ceux qui l'ont choisi et lui ont accordé leur confiance. Un homme qui a su reconnaître ses erreurs, comme avoir été trop confiant et s'être laissé acheter par de belles promesses et avantages matériels prodigués à la communauté. Un homme qui face au danger radioactif et aux multiples oppositions, au péril de sa propre santé et des jours lui restant a vivre, est resté fidèle et dévoué à ses subordonnés et ses résidents, agissant pour les préserver autant que possible.

Peut-être que par le bouche-à-oreille, ces quelques lignes parviendront à Mr. Idogawa, mais même si ce n'est pas le cas, je tiens à le dire, avec la liberté de mon status de "particule humaine ordinaire, quelque part sur la planète"  : 

Merci, Monsieur Idogawa, d'avoir agi avec courage, honneur et respect.
Merci d'être tel que vous êtes, si seulement tous les responsables, décideurs et politiques pouvaient être à votre image ...

Maybe by word-of-mouth, these few lines will reach Mr. Idogawa, but even if not, I would like to say, with the freedom of my status of "ordinary human particle, somewhere on the planet":
Thank you, Idogawa-san, to have acted with courage, honor and respect.
Thank you to be as you are, if only all leaders, decision makers and politicians could behave like you...

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Sources (non classées) :
Call for resignation of Katsutaka Idogawa, the mayor of Futaba town who decided to evacuate his residents 
Radioactive Japan: Futaba-machi Mayor Idogawa Fights No Confidence Vote, Dissolves Town Assembly and Calls for an Election
Mayor from Fukushima reveals thyroid cysts when overseas 
Mayor of a town that hosted Fukushima Daiichi Speaks at UN
Futabamachi mayor Idogawa immediately hospitalized 
“Particles were falling on us from the sky… radioactive dust” after Fukushima Unit 1 exploded
Futaba town mayor “Fukushima medical university stops us from having exposure test.”
Katsutaka Idogawa, mayor of Futaba town Fukushima, dissolves the town assembly
Forever Futaba (message from the mayor) (Jp)
The Interview of Idogawa, Mayor of Futaba Town, after his Resignation
Nuclear Nation, Fukushima Refugees Story


2 commentaires:

  1. Merci encore pour cet hommage à K.Idogawa, le maire de Futaba. Merci aussi de citer mon témoignage: j'ai en effet eu l'honneur de rencontrer M.le maire et de m'entretenir avec lui, et je suis allée plusieurs fois à Futaba, dans la zone interdite, pour pouvoir témoigner de ce qui s'y passe. Le combat de K.Idogawa est exemplaire. Il n'est pas sans rappeler le combat d'un autre maire, français celui-ci, qui a démissionné avec tout son conseil municipal dans une démarche assez semblable, l'année dernière : il s'agit de Jean-Claude Bossard, du village du Chefresne (Manche) en lutte contre les lignes THT et l'EPR de Flamanville. C'est emblématique d'une démocratie qui ne fonctionne plus, ni au Japon ni en France, les populations se trouvant prises en otage au détriment de leur santé et de leur avenir.
    Bravo kna blog de nous tenir informés ! Reconnaissance et respect !http://www.liberation.fr/politiques/2012/06/10/les-elus-demissionnaires-d-un-village-sont-requisitionnes-pour-tenir-les-bureaux-de-vote_825056

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  2. Merci pour ces remarquables informations,
    Pour votre info, le film "Nuclear Nation" a été projeté à La Rochelle, ce 11/03/2013, sous-titré en français, (grâce aux bons soins d'organisateurs du "Festival du Film Japonais de La Rochelle" et bénévoles de l'association franco-japonaise "Shiosai") =
    Un documentaire hors du commun, exceptionnel dans la lignée de "Kashima Paradise" (du regretté Yann Le Masson)…
    qui renvoie des films de (science-)fiction post-apocalyptique , comme "la Route", de Cormac McCarthy & John Hillcoat, a un n'être, à côté, qu'un aimable divertissement…
    Le témoignage du maire de Futaba-shi y est exceptionnel, entre autres témoignages.
    Encore merci pour votre blog, juste découvert là.

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Fukushima - Que savaient-ils et quand ? - A. Gundersen 11.03.13 from Kna60 on Vimeo.